Le film d’horreur La Nonne 2 réalisé par Michael Chaves est sorti au cinéma il y a quelques semaines et s’est placé #1 du box-office pendant plusieurs jours. La suite de la saga américaine The Conjuring a choisi le sud de la France pour narrer l’histoire terrifiante de la nonne Valak. Les effets visuels ont aussi été fabriqués par les équipes françaises de MPC et BUF.
Les équipes MPC Paris ont fabriqué plus de 70 plans VFX sur une durée de fabrication de 7 mois. Voici les retours d’expériences de Laurent Creusot – MPC VFX Supervisor, Estelle Matranga – MPC VFX Producer, Bastien Brenot – CG Supervisor, Christophe ‘Tchook’ Courgeau – Environment Supervisor, Zoé Karadi – VFX Coordinator, Michael Moercant et Agathe Sayegh – Motion Graphic Artists :
La scène du kiosque à journaux.
Le travail des équipes MPC sur la scène du kiosque à journaux a commencé en préproduction par des échanges de références artistiques, pour ensuite se concentrer sur leur mise en image. Laurent Creusot ajoute : “Pour ce film, les références se sont naturellement tournées vers une imagerie des années 50, avec le côté naïf des publicités de l’époque et des images pieuses à l’intensité très marquée.”
“Dès le départ, Michael Chaves avait une idée claire d’une chorégraphie visuelle créant de la tension et du suspense.” se rappelle Bastien Brenot, le superviseur CG ; “La Nonne prendrait forme sous la forme de photographies et d’images de magazines en mouvement. À mesure que les pages tourneraient, elles se combineraient pour former de nouveaux visages et Valak se dresserait face à Irene pour un affrontement final.”
“Cette séquence a demandé une étroite collaboration inter-départements chez MPC, avec une complexité technique à chaque niveau,” explique Laurent.
Le design de l’assemblage des visages sur les pages des magazines, le rythme de déplacement et l’évolution de ces designs ont été géré par le département motion design. Le résultat étant une séquence en vue aplatie de l’ensemble du kiosque, avec chaque magazine animé sur la durée totale de la séquence.
“Nous avons dû recréer 83 magazines en 3D pour avoir un contrôle suffisant afin de prendre des décisions artistiques au niveau d’une page unique, parfois même d’un seul côté de la page”, précise Bastien.
“Le plus gros challenge était de mettre en place un pipe entre les différents logiciel et corps de métier.” nous confie Michael Moercant, Motion Design Artist. “Le département motion design était le premier maillon de la chaîne de production, et chaque ajustement que nous faisions avait une grande influence sur les étapes suivantes. En cours de fabrication, nous avons dû trouver une solution pour limiter la quantité d’image calculée, sans remettre en cause tout le pipe déjà mis en place, et surtout ne pas restreindre les modifications artistiques.”
“Cette scène était importante dès le début du projet, car il a d’abord fallu beaucoup de recherches visuelles pour obtenir quelque chose qui s’approche le plus de ce que le réalisateur imaginait.” précise Agathe Sayegh – Motion Design Artist, “le plus gros challenge résidait avant tout dans la logistique de la fabrication.”
Il y avait à la fois les collages des visages, le mouvement à travers le kiosque, l’apparition de la forme de la nonne, le rythme, le nombre de pages, leurs mouvements, etc. mais aussi la collaboration entre le département motion design et le département 3D qui travaillaient presque en simultanée avec des temps de fabrication et de rendus assez long. “Chaque équipe avait des contraintes techniques, une vision du résultat et devait attendre que l’autre équipe produise une séquence pour pouvoir travailler et vice versa. C’était à la fois un travail en simultanée main dans la main et aussi en relais.” conclue Agathe.
Laurent précise qu’”Après le département motion design, cette séquence partait vers le département FX, en charge de transformer ces images fixes, en page tournant de manière naturelle et subissant l’effet du vent. C’était un énorme challenge technique.”
“Nous avons rapidement opté pour un processus procédural et mis en place notre premier système avec Houdini.” se rappelle Bastien. “Nous avons eu la chance de travailler avec un artiste Houdini particulièrement créatif, Benjamin Saurine. Il est venu avec l’idée d’une série sans fin de pages entrant et sortant de la simulation du magazine. Un peu comme un orgue de Barbarie dans un espace 4D. Petite anecdote amusante : dès les premiers jours de tests, nous avons obtenu de très bons résultats qui ont même été inclus dans la version finale.”
“Le département FX exportait ensuite des datas qui permettait au département lighting de travailler sur les textures de chaque page via le logiciel de 3D Maya, puis d’intégrer la lumière adéquate à un rendu réaliste” continue Laurent, “le tout en suivant scrupuleusement l’animation créé dès le début par le département motion design.”
Christophe ‘Tchook’ Courgeau s’est occupé en parallèle de la partie décors numériques de cette séquence et nous précise que “La séquence a d’abord été tournée à Tarascon et ensuite sur fond bleu. Il a fallu extraire une photogrammétrie du lieu de tournage et la nettoyer afin de recréer numériquement quelques surfaces dont il manquait des détails, comme les barreaux des fenêtres par exemple.” Il reconnait que “le fait d’habiter dans le pays où le film se déroule a été un avantage pour son équipe d’environnement et décors numériques. Il a été plus facile de proposer des décors et des ambiances au réalisateur parce que ce sont des endroits familiers pour nous ensuite pratiquement, on a pu prendre des photos quand on en a eu besoin.”
Bastien Brenot conclue : “Le travail des équipes d’assets, de lighting et de compositing a permis d’atteindre le degré d’extrême réalisme dont nous avions besoin pour cette scène. La recréation de la rue, du kiosque et des magazines était si précise que nos plans fabriqués entièrement en 3D s’intègrent parfaitement dans le montage avec les plans réels.“
Les scènes de jump scare, essentielles aux films d’horreur.
La scène d’ouverture de La Nonne 2 montre un prêtre en feu : “inattendue, mais d’une certaine manière amusant à réaliser”, pour Bastien Brenot. Il ajoute que “Cette scène est combinaison d’éléments pratiques et CG, son succès dépendait fortement de notre équipe de compositing, dirigée par le talentueux Sébastien Podsialo.”
Les plans d’un prêtre animatronique en feu étaient en fait la base du travail des équipes MPC. Ils ont ensuite recréé la scène complète, mettant le feu à un double numérique en 3D. “L’idée était d’ajouter un contrôle d’animation et de détail de flammes aux images réelles en utilisant nos simulations de feu en 3D, notre artiste d’effets spéciaux devait correspondre à la forme et à la vitesse réelles du feu, et il a dû faire de nombreuses itérations pour générer des flammes avec différentes caractéristiques visuelles pour alimenter la composition.”
Les décors des années 50.
Christophe ‘Tchook’ Courgeau – Environment supervisor : “Ma séquence préférée est sans nul doute le survol de la ville d’Aix-en-Provence. C’est un plan aérien où l’on découvre l’abbaye dans lequel l’histoire commence. Nous avions une contrainte de taille : l’église adossée au couvent ne correspondait pas à la vision du réalisateur, et la lumière du tournage n’était absolument pas raccord avec le reste de la séquence. C’était donc un plan très compliqué à imaginer et à mettre en place.
La reconstruction du décor a commencé par un suivi de mouvement qui devait être parfait sur toute la profondeur de la ville. En parallèle nous avions réalisé plusieurs tests de concepts afin de voir à quel point il était possible de transformer l’éclairage global du tournage en éclairage directionnel qui devait faire penser à une lumière de petit matin.
Une fois que tout le monde était d’accord sur le look du plan… nous avons détouré en 3D TOUTES LES MAISONS DU PLAN ! Et ce… QUARTIER PAR QUARTIER ! C’était un travail titanesque et une fois ce travail accompli, nous avons pu calculer des passes de lumière et d’ombres que l’on a rajouté en compositing.
Pour donner un peu de volume aux quartiers, aérer la composition ou remplacer les éléments manquants, nous avons aussi créé des maisons en 3D qui ont aussi été rajoutées en compositing. En parallèle, nous avons reconstitué la tour, une partie du toit et l’entrée de l’église. Et pour finir, nous avons recréé numériquement une place pavée avec une fontaine à droite de l’église, avec des personnes qui s’y déplaçaient, ainsi que des anciens magasins et des voitures des années 40-50.”
Des anecdotes et de bons souvenirs.
Laurent Creusot – MPC VFX Supervisor : “Le réalisateur Michael Chaves, a une connaissance pointue des effets visuels, nous avons pu donc très rapidement nouer un dialogue intéressant et interactif avec lui, car il comprenait bien les enjeux et impératifs inerrants à notre profession. Michael avait une vision très précise de ce qu’il voulait voir à l’écran et de ce qu’il voulait faire ressentir au spectateur – et surtout il n’avait pas besoin de voir l’effet finalisé pour déterminer si la direction lui convenait ou non. Toutes les modifications et améliorations lors du processus de fabrication n’avaient qu’un seul but : pousser la séquence pour qu’elle soit dans sa meilleure version possible.”
Estelle Matranga – VFX Producer : “Un matin, j’étais assise à mon bureau et je regardais une nouvelle séquence que nous avions reçu. Je portais un casque audio pour ne pas déranger les autres autour de moi, et j’étais vraiment captivée par cette scène. Au moment même où La Nonne pose lentement sa main sur l’épaule d’un enfant dans cette scène et qu’il commence à pousser cri démoniaque, une collègue est venue poser sa main sur mon épaule et m’a fait sauter de ma chaise. Rien de tel qu’un petit jump scare du matin pour se mettre dans l’ambiance La Nonne”
Zoé Kadadi – VFX Coordinator : “Chaque visualisation de la séquence Newspaper nous faisait sursauter. Nous avions beau essayer de compter le nombre de frames avant l’apparition soudaine de la Nonne, il y avait toujours au moins une personne pour sursauter – encore plus en l’écoutant avec le son !”
Agathe : “Ce que j’ai préféré, c’est d’avoir travaillé sur une séquence aussi originale et créative que celle du kioske à journal car elle impliquait de nombreux challenges. J’ai aimé pouvoir collaborer avec différents membres de l’équipe et chacun m’ont apporté des conseils, des avis, du soutien, de l’aide. Pouvoir travailler tous ensemble m’a beaucoup plus plu ainsi que l’entre-aide dans les moments de challenge, le soutien dans les moments de doutes et se réjouir à chaque résultat satisfaisant. La séquence du kiosque a été très longue et souvent compliqué mais on s’est tous donné à 100%. C’est ce que je retiens !”
Tchook : “La production de La Nonne 2 a été un bon souvenir, il y avait des plans très excitant et techniques à fabriquer. Les échanges avec le réalisateur étaient très créatifs. C’est très important pour nous de communiquer avec les gens du tournage pour les aider au mieux à raconter leur histoire. Et leur proposer des solutions de fabrication de décors numériques qui vont dans le le sens de la narration. Les reconstitutions des autres décors de ville des années 50 ont nécessité la création de dizaines d’affiches publicitaires. Nous en avons profité pour glisser les noms des gens qui travaillait sur les plans, et une affiche de cinéma qui est maintenant un running gag depuis maintenant 10 ans. Encore bravo à toute l’équipe du département environnement : Bastien, Tristan, Jim, Thomas, Clément, Jordan, Justine, Aimee, Céline et Damien qui ont participé à la fabrication de tous ces décors.”
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Lucas Salton (on-set VFX Supervisor and VFX Supervisor) et Matthieu Piat (VFX Producer) – BUF
Comment le projet est-il arrivé chez BUF?
Nous avons été contactés par la productrice d’effets spéciaux du projet, Sophie Leclerc (un grand merci à elle !). L’équipe du film tournait à Aix-en-Provence et aux studios de Martigues, cherchant un studio basé en France pour gérer à la fois le tournage sur place et les effets visuels en post-production. Leur idée était de répartir la charge de travail entre le moins de fournisseurs possible, de préférence sur le sol français.
Quelles étaient les approches et les attentes du réalisateur en ce qui concerne les effets visuels?
Au début, le réalisateur, Michael (un grand merci à lui aussi !), envisageait des effets simples et classiques, en accord avec le langage visuel de l’horreur. Il penchait initialement vers autant d’effets pratiques que possible, mais le nombre de plans nécessitant des effets visuels a considérablement augmenté par la suite. Nous avons fini par aborder des effets très ambitieux, impliquant des effets spéciaux majeurs, des simulations et des éléments en 3D. Le récit a évolué pendant la post-production, et les plans d’effets visuels n’ont pas été épargnés, pour notre plus grand plaisir ! Nous avons dû nous adapter constamment, souvent en passant par des phases de développement de l’apparence très poussées. Michael avait une vision très spécifique mais nous laissait aussi une certaine liberté dans nos propositions créatives.
Quels étaient les références et les influences que vous avez reçues?
Nous avions quelques références de La Nonne 1, mais pas beaucoup. Il y avait beaucoup de références de la franchise Conjuring. Parfois, Michael partageait des références qu’il avait élaborées la nuit précédente, qui étaient toujours très efficaces. Nous avons également utilisé des vidéos d’internet, notamment celles d’une mini-tornade surnommée « Dust devil » (une référence en lien avec le film) pour la séquence entre Sophie et Maurice à la fin du film.
Vous avez également participé à la création d’éléments environnementaux en 3D. Votre connaissance de l’architecture française a-t-elle facilité ce travail?
Avoir travaillé sur des films historiques axés sur l’architecture française nous a définitivement aidés. Les scans lidar nombreux ont été incroyablement utiles aussi ! L’équipe de décoration de plateau a fait un TRAVAIL MAGNIFIQUE, nous fournissant une base solide pour étendre/créer nos décors en 3D.
Pouvez-vous partager d’autres effets visuels sur lesquels vous avez travaillé?
La longue séquence sur la plateforme où Sophie et Maurice sont dans le vide, l’environnement et la plateforme sont en 3D. L’illumination de la relique a nécessité un développement de l’apparence approfondi. Nous avons créé des cafards en 3D, la tornade de débris autour de Maurice et Irene, Irene prenant feu. Le visage de Valak qui se désintègre, Valak prenant feu, la ville d’Aix-en-Provence la nuit, et bien d’autres encore.
Lucas, en tant que superviseur d’effets visuels sur le plateau, en quoi votre présence a-t-elle été cruciale pour les étapes ultérieures de la production d’effets visuels?
Ma présence sur le plateau était essentielle car elle nous a permis de nouer des relations et de gagner la confiance du réalisateur et des équipes de tournage. Jour après jour, cela nous a aidés à mieux interpréter la vision du réalisateur et à comprendre ses attentes, nous permettant de planifier certaines scènes d’effets visuels et d’optimiser le processus de tournage avec les autres départements. Ma présence continue sur le plateau nous a également permis de prendre des milliers de photos de référence, de réaliser des scans 3D de bâtiments, de accessoires, de maquillages, de personnages, etc. (photogrammétrie, LIDAR), nous aidant grandement à reconstituer les différents éléments nécessaires à la conception des effets visuels.
Pouvez-vous nous parler d’un détail ou d’un élément visuel dans La Nonne 2 que vous avez ajouté, qui pourrait passer inaperçu pour la plupart des spectateurs mais qui vous a particulièrement satisfait en tant que professionnel des effets visuels?
La poussière et les particules, « la dust » comme nous l’appelions, présentes dans presque tous nos plans !
Quel est votre meilleur souvenir de la production du film?
Lucas : Personnellement, mon meilleur souvenir a été toutes les rencontres que j’ai eues pendant le tournage : les cascadeurs, l’Atelier 69 (prothèses et maquillages), l’équipe de construction de plateau, l’équipe des effets spéciaux, l’équipe des costumes… toutes les personnes incroyablement intéressantes et passionnées qui ont contribué à la création du film.
Matthieu : Cette production reste un excellent souvenir pour nous tous.
Malgré les contraintes de temps habituelles, nos équipes étendues ont accompli un travail incroyable. Les équipes de BUF à Paris et à Montréal sont très fières de leur travail et espèrent vous avoir donné des frissons !